Frêle(s)
Il y a d’abord la Chambre : reste de l’antre mythique,
c’est le lieu invisible et redoutable où la Puissance est tapie.
La Chambre est contiguë au second lieu tragique, qui est l’Anti-Chambre,
espace éternel de toutes les sujétions, puisque c’est là qu’on attend.
Saisie entre le monde, lieu de l’action, et la Chambre, lieu du silence,
l’Anti-Chambre est l’espace du langage :
c’est là que l’homme tragique, perdu entre la lettre et le sens des choses,
parle ses raisons.
Roland Barthes, Sur Racine
Le texte
Le texte raconte l’absence.
Une jeune femme parle à un homme qui n’est plus là. Mort.
C’est le moment où tout a basculé, où, pour ne pas sombrer, pour ne pas perdre complètement l’équilibre, il lui faut se poser sur ses deux pieds, ouvrir la bouche : crier ou chanter. Et l’on ne sait pas combien de temps durera ce chant : une heure, une journée, un an, trois nuits, une vie ? C’est le temps d’une révolution, le temps pour dire.
Le temps que dure la traversée opaque.
C’est un texte sur l’envahissement de l’ombre, de la brume.
Mais c’est aussi le temps pour faire ressurgir, étape après étape, le parcours de leur rencontre.
L’intention
Délivrance/Ouverture/Réconciliation. Ce sont les mots qui s’imposent. Comme si ce qui était refermé, replié, noué, devait trouver une issue.
Même si elle n’est pas visible.
Une femme appelle, convoque.
Elle pleure sans pleurer. Chante sans chanter. Face à elle-même, elle se débat.
C’est à cette bataille là que l’on invite le public à venir.
Etre le témoin de ce moment particulier où tout est à la fois très clair et très flou ; clair dans le tranchant des émotions, flou dans le repère du temps ;
Flou aussi dans l’appréhension de la réalité : la réalité échappe, la vision se tord, les ombres qui habitent la femme envahissent son espace. Freinent son mouvement. C’est aussi un texte sur l’immobilité.
Les personnages
Ils sont au nombre de trois.
La femme, l’homme, et la fille au sourire.
La femme
Elle parle à un homme qui n’est plus là et dont on comprendra qu’il est parti à la recherche d’une autre femme, la fille au sourire, avant de disparaître complètement.
Elle dit le chagrin, la colère, le ressentiment.
Elle halète, accroche, ressasse, invente peut-être…
L’homme
Il s’agit de l’homme aimé.
Il revient, quasi silencieux. Fantôme ? Que veut-il ?
La fille au sourire
Elle est d’ailleurs. L’on ne sait rien d’elle, si ce n’est ce que la femme en dit.
Elle est d’ailleurs. Elle échappe. A l’homme. A la femme.
Sauf à elle-même peut-être.
Scénographie : rapports entre l’espace et le temps
L’espace
La pièce s’ouvre sur un espace étranglé : l’espace ténu de l‘équilibre.
Au fil du texte l’on se demande si ce que cette femme dit s’inscrit dans une réalité. Si oui, dans quelle réalité.
Et l’on se pose la question de savoir où elle est.
Le temps
Quand la femme commence à parler, les repères sont assez clairs, fiables. Matin, dimanche, midi.
Puis quand elle a fini de parler, une vingtaine de pages plus tard, on ne sait plus s’il s’agit de la nuit ou de l’aube.
Comme si cette femme avait commencé à parler un matin, un dimanche matin et finissait de parler à l’aube d’un autre jour, d’une autre année …d’une autre vie.
Le texte
La parole, un chant
Nécessité de la parole. Cette femme parle. Tant qu’elle parle/ chante ; elle vit. Elle fait vivre son amour.
Elle parle à celui qui n’est pas là, à cette part d’elle-même peut-être qui est effacée.
Dès qu’elle s’arrête de parler, l’obscurité menace, le sol vacille. Parler, c’est nommer. Appeler. Convoquer.
Le silence
Le silence est premier. Chaque fois que la femme s’arrête de parler, elle écoute.
Quand/puisque/parce que/ si/ rien ne se manifeste, elle parle. Elle se sauve de ce silence, d’elle–même en parlant.
Les rythmes
Ils sont multiples. La parole convoque, convainc. Elle déploie ou fait haleter celle qui la dit. Même la plainte chez cette femme est l’expression du vivant.
Equipe artistique
Une comédienne, (Brigitte Stanislas) un comédien, (Yvan Serouge), une danseuse (Anamaria Fernandes), un compositeur sonore (Pierre Gufflet), une costumière (Maria Marques Bonet), une plasticienne (Régine Halloux), un éclairagiste (Dominique Bourges) travaillent sur ce projet.
Brigitte Stanislas interprète la femme, Yvan Serouge est l’homme.
La fille au sourire est interprétée par Anamaria Fernandes, danseuse. Ce choix tient au fait que la fille au sourire ne parle pas le même langage que l’homme et la femme. Et il est important que cela soit manifeste.
La composition sonore est là pour souligner le basculement d’une réalité à l’autre, d’une vision à l’autre.
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Pour accompagner la création, une collecte de paroles d"habitants sur le thème du départ. intitulée
" Paroles sur le pas de la porte"
la Compagnie travaille régulièrement avec la commune de Sixt-sur-Aff depuis quelques années, c'est pour approfondir cette démarche que nous avions proposé un travail de collecte de paroles d'habitants autour d'un des thèmes présents dans "Frêle(s)", le départ. C'était une façon d'associer les habitants au travail de création puisque des répétitions et des lectures avaient lieu à Sixt. Des boites aux lettres avaient été déposées dans la commune et quelques mois plus tard nous avons pu relever ce courrier écrit par des enfants, des adultes, des personnes âgées. Tous ces courriers traitaient du thème du départ.
Nous avons lu en direct au public réuni ce soir là à la médiathèque de Sixt le contenu de ces boites et c'était édifiant. Les billets ou les lettres, concises ou prolixes, évoquaient avec force l'absence, la rupture, la mort mais aussi l'élan. Ce moment a été vécu avec force.